La maison de la sagesse

دار الحكمة

Le remède pour la jalousie – Imam al-Ghazali

 

Sache que la jalousie est l’un des grands maux pour les cœurs. Et les maux des cœurs ne peuvent être soignés que par le savoir et l’œuvre. Le savoir utile pour soigner la maladie de la jalousie est de savoir avec conviction que la jalousie est un préjudice pour toi dans ce monde et dans l’au-delà. Et il n’y a, par contre, aucun préjudice dans ce monde ci et dans l’au-delà pour la personne jalousée pour qui, au contraire, la jalousie dont elle est l’objet est bénéfique. Si tu sais cela d’une manière clairvoyante et que tu n’es pas l’ennemi de toi-même ni l’ami de ton ennemi, tu te débarrasseras sans aucun doute de la jalousie.

La jalousie est un préjudice pour toi car, en étant jaloux, tu refuses la volonté de Dieu et tu détestes le partage de Ses bienfaits entre les hommes et la justice qu’Il établit en son royaume par Sa sagesse occulte. C’est là un crime à l’égard des règles de la théologie et l’expression d’une foi impure. En plus, c’est un crime contre la religion dans sa totalité. En étant jaloux, tu t’éloignes de l’enseignement des saints et des prophètes et de leur amour pour les hommes, serviteurs de Dieu, et tu participes avec Ibliss et avec les impies à l’amour de l’affliction des croyants et à l’amour de l’absence de bienfaits. Ce sont là des vices qui consument le cœur comme le feu consume le bois et effacent ses vertus comme le jour efface la nuit. La jalousie est un préjudice pour toi en ce monde car tu souffres en ton corps et tu te tortures alors que tes ennemis jouissent de bienfaits que le Seigneur répand sur eux. Tu souffres à chaque bienfait qu’ils reçoivent et tu te tortures chaque fois qu’une affliction ne les atteint pas. Tu demeures triste, l’esprit errant et le cœur serré et tu es dans la situation que tu souhaites tes ennemis et que tu souhaites pour eux. Et malgré cela et malgré ta jalousie, ton ennemi jouira toujours du bienfait qu’il a reçu. Même si tu ne crois pas à la Résurrection et au Jugement, l’intelligence te commande de faire attention à la jalousie à cause de ce qu’elle apporte comme douleur au cœur, en plus de l’absence de profit. Et tu sais le grand châtiment qu’on reçoit dans l’au-delà à cause de ce sentiment. Il est vraiment étonnant de voir un homme doué de raison s’exposer à la colère du Seigneur sans qu’il n’y ait pour autant pour lui, au moins, un profit quelconque. Bien au contraire, il n’en récolte que préjudices et douleur et il se trouve perdu dans ce monde et aux yeux de la religion sans aucun bénéfice en contrepartie. Il est clair, par contre, qu’aucun tort dans ce monde ci et dans l’au-delà n’est porté à la personne jalousée car le bienfait dont elle jouit ne disparaît pas malgré ta jalousie. Ce que Dieu décide comme bienfaits demeure jusqu’à un délai inconnu que détermine le Seigneur. Nous n’avons aucune puissance pour éliminer ces bienfaits. Toute chose est décidée par le Seigneur et sa durée est écrite. Un prophète s’est plaint d’une femme tyrannique qui subjuguait les gens. Le Seigneur lui a révélé : « Fuis-la jusqu’à ce que ses jours arrivent à terme. Autrement : ce que nous avons décidé dans Notre éternité ne peut être changé. Patiente jusqu’au terme décidé. » Tant que le bienfait ne disparaît pas à cause de la jalousie, il ne peut y avoir de préjudice en ce monde pour la personne jalousée comme il ne peut Iui être compté un péché dans l’au-delà.

Peut-être te dis-tu : Ah, si ce bienfait pouvait disparaître à cause de ma jalousie ! Là est le comble de l’ignorance car c’est toi qui es le premier affligé. Toi aussi, tu as certainement un ennemi qui te jalouse. Si les bienfaits disparaissent à cause de la jalousie, il n’y aura plus pour Dieu de bienfaits accordés aux hommes. Il n’y aura même plus le bienfait de la foi car les impies jalousent les croyants pour leur foi. Le Seigneur dit : « Beaucoup parmi le peuple du Livre aimeraient bien, s’ils pouvaient, vous ramener à l’infidélité, après que vous avez fait preuve de foi ; et cela, par envie. »(1)

Donc, ce que désire le jaloux ne se réalise pas. Par sa volonté, il croit pouvoir perdre les autres et il pense qu’il peut pousser à l’impiété. Celui qui voudrait faire disparaître le bienfait dont jouit la personne jalousée est comme s’il voulait faire disparaître le bienfait de la foi et tous les autres bienfaits par la jalousie des impies. Et si tu penses que tu peux faire disparaître par ta jalousie les bienfaits dont jouissent les autres sans que les bienfaits dont tu jouis ne puissent disparaître par la jalousie d’autrui, tu fais preuve d’un comble d’ignorance et de bêtise. Tout jaloux et sot désire aussi avoir cette particularité et tu n’es pas meilleur que le reste. Le bienfait que Dieu t’accorde ne peut disparaître à cause d’une jalousie. Tu dois en remercier le Seigneur et ne pas être un ignorant.

Il est clair que la personne jalousée profite en ce monde et en religion de ta jalousie. Son profit en religion est qu’elle est victime d’une injustice, la tienne. Surtout si la jalousie te pousse à proférer des mots et à agir, à insulter et à médire. Ce serait là des cadeaux que tu lui fais. Nous voulons dire : tu offres à cette personne tes bonnes actions pour la voir démunie dans l’au-delà comme tu es démuni en ce monde. Comme si tu voulais que le bienfait disparaisse alors qu’il n’a pas disparu.

Dieu a gratifié ton ennemi de bienfaits et tu lui as transféré tes bonnes actions. Tu lui as ajouté un bienfait au bienfait dont il jouissait déjà. Et tu as ajouté pour toi-même malheur sur malheur.

Le but le plus important pour les gens est de voir leurs ennemis malheureux, torturés et vivant dans l’affliction. Or, il n’y a pas de plus grand malheur que le malheur dans lequel tu vis à cause de la jalousie. Or, ce que désirent tes ennemis le plus est de te voir à cause d’eux vivant dans l’anxiété et la consternation. Tu as fait pour toi-même ce qu’ils désirent. Pour cette raison, ton ennemi ne désire pas ta mort mais désire que tu vives longtemps mais dans la douleur de la jalousie afin que tu puisses voir le bienfait dont il jouit et que ton cœur soit brisé.

La joie qu’éprouve ton ennemi pour ta jalousie et ton affliction est plus grande que celle qu’il éprouve pour le bienfait dont il jouit. S’il arrive à savoir que tu t’es débarrassé du malheur et de la douleur qu’est la jalousie, ce sera pour lui la plus grande catastrophe. Si tu médites tout cela, tu sauras que tu es l’ennemi de toi-même et l’ami de ton ennemi car tu t’es porté préjudice en ce monde et dans l’au-delà. Tu es devenu blâmable auprès des gens et blâmable au regard de Dieu et malheureux dans ta situation ici-bas et dans l’au-delà. Quant au bienfait dont jouit la personne que tu jalouses, il demeurera que tu le veuilles ou pas. Non seulement tu n’auras pas atteint ton ennemi mais tu seras arrivé à rendre Ibliss, ton père ennemi, joyeux. H te verra privé du bienfait de la science, de la dévotion, de la notabilité et des biens dont jouit ton ennemi et il craindra que tu te réjouisses pour lui et que, par l’amour, tu partages avec lui la rétribution divine. Car celui qui veut du bien aux musulmans partage les bienfaits de Dieu avec eux. Celui qui ne peut atteindre le degré des grands en ce monde peut toujours être rétribué pour l’amour qu’il leur porterait. ‘Miss a peur que tu aimes ce que Dieu attribue comme bienfaits en ce monde et en religion à son serviteur (l’homme) et que tu gagnes la rétribution de l’amour. Il te hait et ne veut pas que tu rejoignes l’autre par l’amour comme tu n’as pas pu le rejoindre par ton œuvre. Un bédouin avait demandé au Prophète : Comment un homme qui aime les gens peut-il par cet amour rejoindre leur degré ? Le Prophète lui répondit : L’homme est avec celui qu’il aime. Le Messager prononçait une fois un sermon lorsqu’un bédouin se leva et lui demande : À quand l’heure ? II lui répondit : Et qu’as-tu préparé pour cette heure-là ? Le bédouin dit : Je ne me suis préparé ni avec beaucoup de prières ni avec beaucoup de jeûne mais j’aime Dieu et Son Messager. Tu es avec ce que tu aimes, lui fut-il répondu. Anas a dit : Les musulmans n’ont pas connu de joie plus grande après celle éprouvée le jour de leur entrée en islam comme la joie de ce jour-là. Il signifiait que leur plus grand désir était d’aimer Dieu et son Messager. Anas a dit aussi : Nous aimons le Messager de Dieu, Abou Bakr et Omar. Nous n’œuvrons pas comme eux mais nous souhaitons être avec eux. Abou Moussa : J’ai dit au Messager de Dieu : Cet homme aime ceux qui prient mais ne prie pas lui-même ; Il aime ceux qui jeûnent et il ne jeûne pas. Le Prophète me répondit : Il est avec ceux qu’il aime. Un homme dit à Omar Ibn Abdelaziz : On dit : si tu peux être un savant, sois le ; si tu ne peux pas être un savant, sois un élève ; si tu ne peux pas être un élève, aime les maîtres et les élèves ; et si tu ne peux pas les aimer, ne les hais point. Omar Ibn Abdelaziz dit alors : Que Dieu soit loué ! Le Seigneur nous a donné une issue.

Observe maintenant comment Ibliss t’a jalousé et comment il t’a fait perdre la rétribution de l’amour. Point satisfait de cela, il t’a poussé à détester ton frère (musulman) jusqu’à la haine et à commettre ainsi un péché. Pourvu que tu ne jalouses pas un homme de science et que tu n’aimerais pas le voir se tromper dans les choses de la religion de Dieu jusqu’à ce que son erreur soit découverte et qu’il soit l’objet d’un scandale. Et pourvu que tu ne souhaites pas qu’il devienne muet pour qu’il n’arrive plus à parler ou qu’il tombe malade pour qu’il n’enseigne plus ni n’apprend davantage. Quel péché serait plus grand que celui-là ? Si tu ne peux le rejoindre et que tu en es affligé, sois pur du péché et évite le châtiment dans l’au-delà. Il est dit dans le Hadith (paroles du Prophète) : « Les gens du paradis sont de trois sortes : ceux qui ont fait le bien, ceux qui ont aimé ces derniers et ceux qui ne leur ont pas cherché querelle. » Ceux qui ne leur ont pas cherché querelle, c’est-à-dire : ceux qui ne leur ont pas fait de mal, qui ne les ont pas jalousés ni ne les ont détestés. Regarde comment Ibliss t’a éloigné des trois issues afin que tu ne sois nullement de l’une des catégories des gens du paradis. La jalousie d’Ibliss t’a porté tort mais ta propre jalousie n’a pu atteindre ton ennemi. C’est toi qu’elle a atteint. Si tu pouvais voir réellement ta situation, homme jaloux, dans un état d’éveil ou de sommeil tu te verrais comme un homme qui tire une flèche sur un ennemi pour le tuer mais la flèche se retourne sur lui et vient lui crever l’œil droit. L’homme se fâche encore plus et tire une autre flèche avec plus de force.

 

La flèche vient cette fois-ci lui crever l’œil gauche et le rend aveugle. Sa colère monte encore et, cette fois-d, c’est sa tête qui est touchée. Pendant ce temps, son ennemi demeure sain et sauf alors que, lui, il ne cesse de vouloir l’atteindre pendant que tous ses autres ennemis se moquent et rient de lui. Tel est l’état du jaloux et comment Satan se moque de lui. Ta jalousie est, en vérité, pire que cela car les flèches ne t’ont fait perdre, dans l’image donnée, que les yeux. Elles pouvaient entraîner la mort sans nul doute, si la situation avait continué. Observe comment Dieu se venge du jaloux quand celui-d souhaite la disparition des bienfaits dont jouit celui qu’il jalouse. Le Seigneur ne les a pas enlevés à ce dernier mais Il les a enlevés au jaloux. Le salut du péché est un bien fait et le salut de l’affliction est aussi un bienfait. Des bienfaits dont le Très Haut prive le jaloux. Ne dit-il pas : « Et l’œuvre de mal ne retombera que sur son auteur. » Et le jaloux peut être affligé de ce qu’il souhaite à son ennemi. Il est rare qu’un homme qui souhaite le mal à autrui ne soit pas atteint lui-même de ce même mal.

Aïcha – que Dieu lui accorde Sa miséricorde disait : « Je ne pouvais souhaiter quelque chose à Othman sans que je n’en sois moi-même atteinte. Si je lui avais souhaité la mort, je serais morte. »

Là est le péché de jalousie, de la jalousie proprement dite. Que dire de ce qu’entraîne la jalousie : le désaccord, l’occultation de la vérité, les mots grossiers proférés, les gestes obscènes ?

C’est là le mal qui a entraîné la perdition des peuples anciens.

Tels sont les remèdes scientifiques à la jalousie. Tant que l’homme y pense avec un esprit pur et un cœur présent, le feu de la jalousie sera éteint en son cœur et il saura qu’il se perdra avec la jalousie, qu’il réjouira son ennemi, mécontentera son Seigneur et empoisonnera sa vie.

L’œuvre utile est de maîtriser la jalousie. Il faut faire le contraire de ce qu’elle exige en paroles et en action. Si elle veut qu’on calomnie une personne, il faut faire l’éloge de celle-ci.

Si elle veut pousser à axe orgueilleux, il faut être humble et s’excuser. Si elle pousse à cesser de faire le bien, il faut en faire davantage. Si on fait cela exprès, l’objet de la jalousie le saura, sort cœur s’attendrira et il aimera celui qui fait des efforts pour éviter la jalousie. Et plus il fera preuve d’amour, et plus le jaloux l’aimera. Ainsi naîtra une concorde qui arrachera la raison de la jalousie. Car l’humilité, les éloges et la joie pour les bien-faits dont jouit l’autre attirent le cœur de celui-ci, l’attendrissent et le poussent à y répondre par le bien. Puis, ce bien est reçu par le premier et le cœur de celui-ci deviendra bon et lui-même aura un caractère marqué par l’effort qu’il a fait et il ne sera pas arrêté par Satan qui lui aurait dit : Si tu es humble et que tu fais l’éloge de ton ennemi, celui-ci te considérera comme un incapable, un hypocrite ou un poltron et c’est une humiliation pour toi. Ce sont là des ruses et des intrigues de Satan. Bien au contraire, la complaisance, affectée soit-elle ou naturelle, brise les murs de l’inimitié des deux parts et en réduit le degré. Les cœurs reviendront à l’affection et à l’amour, et ne souffriront plus, malgré l’animosité, de la douleur de la jalousie.

Voilà les remèdes très utiles à la jalousie. Ils sont très amers pour les cœurs mais l’efficacité est dans le remède amer.

Celui qui ne peut supporter l’amertume du remède ne pourra jouir de la douceur de la guérison. L’amertume de ce remède, nous entendons l’humilité devant les ennemis, le désir de se rapprocher d’eux par l’éloge et par un grand savoir des significations que nous avons évoquées, est supportable grâce au grand désir d’obtenir la rétribution de l’acceptation de la volonté et du désir de Dieu. Que l’âme ne peut accepter qu’il y ait en ce monde de chose différente de son désir, c’est de l’ignorance. Celui qui pense cela veut ce qui ne peut être. Et vouloir ce qui ne peut être est humiliant. On ne peut échapper à cette humiliation que de deux façons : soit que ce qu’on veut se réalise ou qu’on ne veut que ce qui peut se réaliser. On ne peut rien faire dans le premier cas et il n’y a pas lieu ici à affectation ou à effort. Par contre, l’effort peut jouer un rôle dans le deuxième cas et on peut obtenir alors par l’exercice ce qu’on veut. Tout homme doué de raison doit se rendre à ce cas. Là est le remède global.

Quant au remède détaillé, c’est la recherche des causes de la jalousie : orgueil, fierté, recherche de ce qui est inutile, etc. Elles sont la matière de ce mal et on ne peut réprimer un mal qu’en réprimant la matière qui le constitue. Si on ne réprime pas la matière, on n’obtiendra avec le remède que nous avons évoqué qu’une accalmie. Le mal reviendra de temps à autre et un long effort sera fait pour le calmer mais ses matières demeureront.

Imam Abu Hamid al-Ghazali

Source: L’apaisement du cœur

Notes :

(1): Al-Baqara , 109

 

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